Laurence Barthelet, Sitael

À l’origine dédiée à l’export de produits bio, la société Obipro créée par Laurence Barthelet conditionne et fabrique depuis 2005 des mélanges aromatiques et des épices bio sous la marque Sitael, et la gamme n’a cessé de s’enrichir. Depuis 2020, Laurence et ses collaborateurs se sont lancé un nouveau défi : développer leur propre production sur un terrain de 4 hectares situé à proximité de leurs locaux.
La cueillette des pensées sauvages.

ARH-IFH : Bonjour Laurence, quel cheminement professionnel vous a conduit à créer votre gamme d’herbes aromatiques ?

Laurence Barthelet : Au tout départ, nous n’avions pas de flux de produits, je faisais l’interface entre des producteurs français qui voulaient exporter et des producteurs étrangers qui voulaient pénétrer le marché français, j’étais uniquement une sorte d’agent commercial.

Cependant il n’y avait pas trop de pérennité à long terme avec cette activité, parce que les gens ayant un flux d’affaires réalisaient rapidement qu’embaucher quelqu’un leur reviendrait moins cher que de payer une commission. Je me suis donc dit : puisque l’on sait faire ça pour les autres, autant le faire pour nous-mêmes, avec des produits qui nous plaisent. C’est de cette façon que je me suis dirigée vers les épices et les herbes aromatiques. Les plantes, c’est quelque chose que j’ai toujours aimé. J’ai fait une formation dans le commerce international, mon parcours professionnel a fait que je ne suis pas allée tout de suite dans cette direction, mais c’était toujours dans un coin de ma tête.

Comment s’est passée la transition vers cette nouvelle activité ?

Un petit peu naturellement. Une opportunité commerciale s’est présentée grâce à un client grossiste belge (Mannavita), avec lequel je travaillais depuis de longue date. Il distribuait en magasin bio en Belgique. Ce client n’avait pas d’épices, ni d’herbes aromatiques dans sa gamme, et comme le sujet me tenait à cœur, je suis partie de cette opportunité pour monter le projet. Cela a quand même duré une petite année : il a fallu créer la marque, créer le design des étiquettes, sourcer la gamme. On a mis en place une activité d’achat de matières premières d’épices et d’herbes aromatiques. On conditionnait des saveurs simples, puis on assemblait en créant des mélanges.

Les tisanes sont venues plus tard ?

Oui, les tisanes sont récentes. Au début, on s’en est tenus à l’aspect culinaire avec les épices et les herbes aromatiques. J’avais déjà songé aux tisanes mais je ne me sentais pas légitime et compétente pour le faire sans avoir fait de formation. D’où la formation de l’IFH !

L’atelier et la boutique à Quintenas.

C’est cette recherche de légitimité qui vous a décidée à faire une formation ?

Oui, je sentais qu’il me manquait quelque chose. Je maîtrise la création et le mélange des saveurs sur un pur aspect culinaire. Cela ressemble au processus de création d’un parfum, mais un parfum de bouche ! Comment l’expliquer ? Quand j’ai des saveurs simples devant moi, j’ai la capacité de dire, au nez, (on sent le goût par l’odorat aussi), que telle saveur se mariera avec une saveur, mais pas avec une autre. Ce travail était plaisant, sans danger, mais pour la création de tisanes, outre les saveurs, on se doit de connaître et de maîtriser les effets des plantes utilisées. Ayant vraiment l’envie de faire des tisanes, j’avais besoin de cette formation à l’IFH, qui s’est imposée à ce moment-là.

Sur le lieu on a aussi une parcelle de champ certifiée bio, où poussent des plantes aromatiques et médicinales et on va pouvoir utiliser également les plantes de cette prairie.

Vous aurez terminé la formation à l’IFH en juin 2022, ressentez-vous déjà les apports de la formation dans votre quotidien professionnel ?

Oui, tout à fait, au quotidien. J’ai également fait le stage de Sacha Guégan à l’IFH sur la permaculture, très intéressant. Ça correspondait exactement à ce que je voulais faire avec les herbes aromatiques. J’ai appris beaucoup de choses. On a commencé à mettre en cultures et à lancer l’exploitation agricole en novembre 2020 lorsque j’ai commencé la formation. Tout s’est bousculé ! Nous avions déjà un statut de SARL en transformation mais impossible d’avoir une activité agricole sous cette entité. Un agriculteur voulant transformer peut le faire, mais inversement, transformer puis passer au statut agricole, ça ne marche pas. J’ai donc dû mettre en place une exploitation agricole « Les jardins d’Ymalis » en novembre 2020, et on a commencé à planter au printemps 2021. On a mis en place les vivaces et les ligneuses qui sont plus faciles à cultiver : on a commencé par les cassis, ensuite le thym, le romarin, la sarriette, l’origan, les rosiers, la lavande, et on a ajouté de la menthe et de la camomille. Parallèlement, nous avons mis en culture les annuelles dont nous nous servons : bleuet, calendula, pensée sauvage.

Sur le lieu on a aussi une parcelle de champ certifiée bio, où poussent des plantes aromatiques et médicinales et on va pouvoir utiliser également les plantes de cette prairie. Nous avons déjà commencé à ramasser l’ortie par exemple.

Si je comprends bien, vous avez un espace pour les cultures et un autre pour les cueillettes sauvages ?

C’est cela, mais les cueillettes demandent des connaissances en botanique, et étant complètement néophyte j’avais absolument besoin de la formation de l’IFH, qui m’a apporté des réflexes d’observation : j’ai appris comment chercher dans les flores pour essayer ne pas se tromper, parce que si on confond les plantes, ça peut avoir des incidences importantes ! La formation est très dense sur les deux années, il y a une telle somme d’informations, qu’on a l’impression de ne rien savoir, mais en fait, quand on on se retrouve dans le pré, les réflexes se font naturellement, et effectivement, même si la somme de connaissances à apprendre est énorme, on a quand même retenu une base de réflexes d’études qui sont fondamentaux.

Une production artisanale.

Ces réflexes vont rester !

Exactement ! Quand on se promène avec d’autres personnes et qu’on peut reconnaître des plantes, il y a une vraie satisfaction. On s’aperçoit qu’on a appris des tas de choses. Il y a aussi toute la partie plus « technique »: je pense à la pharmacognosie et à l’élaboration des tisanes… maintenant, on sait qu’on a les informations, on sait comment les chercher, comment les assembler. On n’est plus dans le vide en allant chercher des informations sur Internet, il y a toute une réflexion, toute une démarche scientifique qui est acquise, et on a conscience de tout ce qu’il faut regarder pour faire les choses correctement.

Sans parler des livres de cours, que vous gardez, et qui sont toujours des ouvrages de référence.

Oui, ils sont là, tout à côté, et on en a besoin tout le temps ! On ne peut pas tout retenir dans notre petit cerveau, ce n’est pas possible. Mais on sait qu’on a sous la main les informations essentielles et que l’on va pouvoir les trouver, les rassembler de manière cohérente.

Je me sens beaucoup plus sûre de moi maintenant après avoir fait la formation : Comment utiliser les plantes ? Avec quels assemblages ? Et au-delà de ça, cet apprentissage m’a permis aussi de préciser mes projets, de connaître et d’élargir l’utilisation des plantes. Par exemple, on pourrait désormais envisager de faire des baumes ou des savons !

Des idées recettes simples, rapides et savoureuses.

Car vous n’en faites pas actuellement.

Non, parce qu’il faut que l’on aménage en labo la petite pièce que l’on a actuellement, et nous venons seulement de démarrer les cultures : notre activité au quotidien nous prend beaucoup de temps. Nous n’allons pas nous lancer tout de suite dans la création de cosmétiques ou de crèmes mais plutôt tenter dans la mesure de nos moyens d’éventuellement créer quelques baumes, histoire de valoriser notre production. À chaque fois il faut faire un DIP (Dossier d’Information Produit), et passer par un toxicologue, il faut y aller petit à petit car ces démarches réglementaires ont un coût.

Nous avons embauché une nouvelle personne, Cédric, qui vend nos produits dans une petite camionnette.

Pouvez-vous me parler des personnes avec qui vous travaillez dans votre entreprise ?

Cela a un peu fluctué la dernière année, peut-être l’effet Covid. Au départ, avec moi nous étions trois : j’étais secondée par une collègue qui s’occupait de la production à l’atelier, (la réalisation des mélanges et le conditionnement), et par un commercial. On livre certains magasins en Rhône-Alpes principalement. C’est très prenant car il faut passer dans les magasins, faire le relevé des meubles, venir préparer, et relivrer la semaine suivante.

Depuis ma collègue est partie, et le commercial également. Nous avons embauché une nouvelle personne, Cédric, qui vend nos produits dans une petite camionnette. Il tourne cinq jours sur sept du lundi au vendredi sur un secteur qui va de Tournon-sur-Rhône jusqu’à Saint-Pierre-de-Bœuf dans la vallée et de Pélussin à Ardoix et Saint-Jeure-d’Ay sur le plateau. Ce n’est pas un camion qui s’arrête sur la place du village et qui laisse venir les gens à lui : il va directement chez les personnes, de maison en maison. Il passe toutes les 6 semaines chez les personnes intéressées et propose à la clientèle nos épices, nos tisanes, et les produits de partenaires locaux principalement. Tout est en bio.

La Sitaelmobile, le petit magasin ambulant.

Ma fille se charge de notre communication en ligne, des réseaux sociaux, des photos, des fiches recettes. Autant de choses essentielles où je n’excelle pas ! Ce travail va dans la direction de la vente directe aux consommateurs, car les réseaux sociaux créent des liens. Le site Internet avait été fait par une petite entreprise locale et maintenant ma fille gère les contenus. Elle s’occupe aussi de la page Facebook et du compte Instagram. Récemment on a réalisé un petit catalogue « papier » de vente directe avec nos produits partenaires. Car bien souvent on vend aussi nos épices à des producteurs locaux, et si ils font des terrines au curry, on les met en vente dans la boutique et dans la camionnette. Les ventes avec la camionnette sont très prometteuses ! Nous avons démarré tout récemment, début octobre 2022, donc nous sommes très satisfaits ! Les gens sont vraiment enclins à acheter et la vente en direct avec Cédric fait la différence.

Quelle est la part de vente sur votre boutique en ligne ?

L’objectif du site est d’offrir à la vente nos produits à des gens qui n’habitent pas en Rhône-Alpes.

Ce n’est pas une grosse part de vente, nous allons dynamiser le site bientôt. On s’était fait retoquer par la Direction des Fraudes, car il fallait mettre le strict minimum légal concernant la description de nos produits sur le site, et nous avons corrigé. Mais certaines boutiques en ligne énumèrent toutes les plantes avec leurs propriétés en toute impunité. C’est de la concurrence déloyale ! J’avais appelé les fraudes et je leur avais exposé ce problème de « 2 poids, 2 mesures ». Un consommateur lambda se rend sur un site, voit une tisane décrite comme formidable pour stimuler les défenses immunitaires. Sur ma boutique en ligne il repère le même type de tisane, décrite simplement : elle a bon goût et elle réchauffe. Le consommateur va de toute évidence acheter la tisane décrite comme formidable pour sa santé ! On m’a répondu qu’il n’était pas possible de contrôler tous les sites internet, et que chaque département gérait les entreprises de son secteur. Notre site est aux normes, avec une sobriété des commentaires liés aux produits : peut-être que cela n’incite pas à la vente. Ce qui marche dans la vente et aussi sur une boutique en ligne, c’est quand les gens racontent leur vie, quand ils se mettent un peu en scène. C’est quelque chose que je n’aime pas faire, et quand je le vois  sur certains sites, cela m’agace un peu ! Leur marketing est très au point, leur communication au top mais si l’on gratte un peu, et que l’on se renseigne sur la société, on comprend vite qu’ils sous-traitent la fabrication. Ils sont tellement bons en marketing, qu’en lisant leurs descriptifs on a vraiment l’impression qu’ils fabriquent. Je n’ai jamais voulu tricher de cette manière : la formation de l’IFH me permet de me sentir légitime et honnête avec les descriptifs de nos produits.

Des épices et des tisanes colorés.

Nous sommes allés dans le nouveau bâtiment de l’IFH où il y a cette magnifique cuisine, et j’avais des paillettes dans les yeux !

J’ai vu des fiches cuisine sur votre site.

Les recettes que nous proposons sur le site sont des recettes rigoureusement testées et validées : nous testons une recette avec nos mélanges le lundi en arrivant, tout le monde goûte et donne son avis, nous faisons éventuellement quelques réajustements, et la mise en ligne est faite lorsque la recette est validée à 100%.

Organisez-vous des ateliers à destination du grand public ?

Nous y pensons, nous avons commencé à le faire à l’extérieur. Je m’étais inscrite à un module professionnel proposé par l’IFH avec Julien Lebœuf, « Savoir animer des sorties botaniques et des ateliers thématiques autour des plantes », c’est une bonne chose d’avoir, en complément de tout ce que l’on apprend, des modules de spécialisation professionnelle aux thématiques précises. Je suis tombée sur le sujet « création de recettes de cuisine ». Nous sommes allés dans le nouveau bâtiment de l’IFH où il y a cette magnifique cuisine, et j’avais des paillettes dans les yeux ! Ce type de pièce à côté de la boutique serait idéal pour pouvoir organiser des ateliers dans nos locaux ! Dans le cadre de « La semaine du goût », nous avons fait un atelier à l’extérieur, avec les enfants de l’école primaire du village, et un travail a été fait avec eux sur l’aspect culinaire. Cette école nous a demandé un projet botanique pour l’année prochaine, qui sera peut-être une sortie botanique avec les enfants, ce qui leur permettrait de cueillir des plantes, de les reconnaître, de les mettre sous presse et de les sécher.

Les parcelles de cultures.

J’ai lu que vous travaillez aussi avec des bouchers et des fromagers ? de quelle manière ?

Sur l’aspect création de mélanges à façon. Par exemple nous proposons un mélange « merguez » de base et si un boucher désire qu’il soit un peu plus piquant, la formulation est modifiée spécifiquement pour lui, afin que cela lui convienne. Ces artisans sont plus facilement fidélisés, parce que leur produit final a le goût du mélange d’épices que nous lui avons proposé. Donc si leurs clients apprécient, ils n’ont aucune raison de changer de saveur. C’est très sympathique, de créer des mélanges personnalisés comme cela.

Quels sont les produits que vous désirez mettre en avant ?

Nous essayons toujours de mettre en avant nos mélanges, parce qu’il n’y a pas forcément une valeur ajoutée sur une saveur simple. Bientôt ce sera différent car nous pourrons mettre en avant la mention « Produit en Ardèche » sur nos produits cultivés ou cueillis dans nos parcelles certifiées en bio, mais ce n’est pas encore le cas. Par contre pour nos mélanges, par exemple notre curry, c’est différent : c’est vraiment notre création. C’est donc surtout les mélanges qui sont mis en avant.

Un marché de Noël.

Nous allons surtout récolter les annuelles, le calendula, les bleuets, les pensées sauvages, les orties, la menthe, et les ligneuses à partir de l’année prochaine.

Vendez-vous aussi vos produits sur les marchés ou sur les marchés de Noël ?

Oui, c’était le cas récemment à Annonay pour un évènement qui s’appelle « Les gourmandises d’Ardèche ». Nous avions arrêté les marchés, n’étant pas assez nombreux, mais cela va repartir, avec la période des marchés de Noël. Le but est d’aller le plus possible vers la vente directe, vers le circuit court.

Le magasin d’usine n’a pas toujours été ouvert à la vente directe ?

Non, nous avons démarré dans un garage, c’était moins facile, mais l’opportunité s’est présentée d’acheter l’entrepôt d’une ancienne usine textile dont nous avons rénové toute une partie. Nous avons maintenant une petite boutique de 30 m², des bureaux, des vestiaires, et surtout un atelier aux normes. Nous allons surtout récolter les annuelles, le calendula, les bleuets, les pensées sauvages, les orties, la menthe, et les ligneuses à partir de l’année prochaine. Une grande pièce de séchage à côté de l’atelier de conditionnement sera construite. Il faut arriver à nous auto-approvisionner sur les herbes aromatiques, et planter ce dont on a besoin en terme de quantité. La conversion des plantes fraîches en plantes sèches nous a fait un peu peur ! J’avais planté 200 pieds de bleuet, et il aurait fallu en planter 1000 fois plus pour arriver à ce dont on a besoin sur une année de bleuets séchés et triés, car seuls les pétales sont utilisés. C’est à affiner et à réfléchir parce que nous sommes vraiment sur une phase de transition.

Les cadeaux épicés.

Votre parcours est atypique : de l’import-export aux cultures de plantes !

Comme je le dis souvent, nous sommes à l’envers des autres ! La plupart des Paysans-Herboristes sont d’abord paysans. Ils transforment dans un second temps leurs cultures. Alors que nous, nous avons fait les choses à l’envers puisque nous étions d’abord dans une logique d’achat et de transformation : c’est seulement ensuite que s’est imposée la production de nos propres plantes.

Merci beaucoup Laurence.

SITAEL
Épices, mélanges aux herbes et aux fleurs biologiques.

Laurence Barthelet

Tél : 04 75 67 20 94

155 chemin des Tisseuses
07290 QUINTENAS

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