Retour sur le parcours de Sophie, que nous avions interviewée en 2015, et qui était alors installée à Nice. Aujourd’hui sa nouvelle boutique de Villefranche-sur-Mer lui permet de mieux exposer ses produits et d’accueillir une clientèle internationale. Sophie souligne l’importance de la personnalisation dans son approche, adaptant ses conseils et ses préparations aux besoins spécifiques de chaque client, et évoque sans langue de bois la charge de travail importante et les contraintes réglementaires lourdes liées au métier d’herboriste.
Bonjour Sophie, en 2015, vous aviez créé la « La Nouvelle Herboristerie », et vous étiez installée à Nice. Près de 10 ans après, comment se passe votre activité ?
Ça se passe bien ! Entre temps, juste avant le Covid, j’ai déménagé à Villefranche-sur-Mer, dans un souci d’être plus en phase avec mon activité, Nice étant une ville extrêmement agitée et bruyante. Il s’est révélé que dans la pratique de mon activité, beaucoup de personnes viennent pour des traumas, des problèmes psycho-émotionnels, il y a donc un grand besoin de calme. Donc mon idée était que les personnes que j’accueille, ainsi que moi-même, nous retrouvions dans un environnement plus favorable et plus propice à la détente.
Il y a eu une conséquence heureuse à ce déménagement : les personnes habitant à l’est du département des Alpes-Maritimes, donc Monaco et au-delà, viennent plus facilement. Beaucoup de gens dans la région hésitent à faire le déplacement jusque Nice, qui est une trop grosse ville. Villefranche-sur-Mer est vraiment un mignon petit village comparé à Nice, où les gens aiment passer la journée, la demi-journée.
Le local est-il plus grand, des aménagements ont-ils été faits par rapport à l’ancienne boutique ?
Au début de mon activité, j’ai exercé chez moi et j’avais dédié une partie de l’appartement à l’activité : j’avais clairement besoin de plus d’espace, d’expansion ! J’ai fini par trouver un local en dehors de mon lieu de vie quand je suis arrivé à Villefranche-sur-Mer mais qui n’était pas si grand. Ici les loyers sont très chers, il y a peu de locaux, j’ai donc commencé avec ce petit local, mais qui ne m’a pas empêché de bien travailler. Et depuis un an et demi, j’ai un nouveau local plus spacieux. On n’a jamais assez de place quand on est herboriste, on a beaucoup de trucs à stocker, mais j’ai plus de place et surtout ce local est une vraie boutique : il y a une vitrine qui me permet de réellement montrer et exposer mes produits, les gammes que j’ai mises au point. C’est beaucoup plus valorisant, et je me suis aperçue que certains clients qui me suivaient depuis dix ans ont découvert certains produits qui n’étaient pas assez visibles auparavant. Aujourd’hui je travaille dans un environnement qui me ressemble, qui est à l’image de ce que j’ai créé, c’est un écrin beaucoup plus favorable pour mes produits.
Et votre boutique, « La Nouvelle Herboristerie » est face à la mer !
C’est la cerise sur le gâteau ! Comme quoi, il faut toujours demander plus fort à l’univers ! Je dis toujours aux gens, « J’ai la plus belle salle d’attente du monde ! » : si je termine une consultation, ils attendent quelques minutes devant la porte, et peuvent contempler les éléments, cette mer, ce bleu… cela leur permet de poser leur stress, c’est assez magique. Ça participe du soin.
Au niveau de votre gamme de produits, par rapport à 2015, est-ce qu’elle s’est étoffée, est-ce qu’il y a de nouveaux produits ?
Oui, ça s’est un peu étoffé, mais il faut savoir que dès le début de mon activité, j’ai choisi de créer une gamme très vaste parce que je voulais me rapprocher du « sur-mesure ». Pour chaque problématique, je voulais avoir à disposition plusieurs solutions déjà normalisées, avec une formule standardisée. J’ai été à l’écoute de ma clientèle, qui est une clientèle très fidèle, aux demandes très différentes, et j’ai fini par mettre au point des formules, et près j’ai fait tout le processus de déclaration. Mais il faut savoir, et je l’avais déjà évoqué en 2015, que c’est compliqué de déclarer un produit, car c’est très coûteux, fastidieux, c’est beaucoup d’énergie : on réfléchit à deux fois avant de lancer une nouvelle formule ! On doit dépenser plusieurs milliers d’euros à chaque fois, et avant que l’on récupère cet argent-là grâce aux ventes, il peut se passer plusieurs années ! En cosmétique j’avais commencé par créer un produit pour les moustiques, un spray oculaire, un composé circulatoire et un duo visage pour le soir. J’ai eu dès le départ beaucoup de demandes en cosmétiques, alors qu’à la base ce n’était pas ce qui m’intéressait vraiment, mais clairement c’est une bonne vois d’accès vers la phytothérapie. Entre temps, j’ai eu la visite de la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) … Sur le moment, cela m’a totalement découragée, mais finalement, après avoir subi cela, je me suis détendue, je peux continuer tranquillement !
Est-ce qu’une pièce est dédiée à la fabrication des cosmétiques ?
Oui, un espace un peu clos qui fait partie de la boutique, car comme je le disais, on manque toujours d’espace et l’espace coûte cher. On trouve rarement un local où il y aurait une pièce de stockage, une pièce de fabrication, un espace boutique et un espace pour les consultations, cela relèverait du miracle ! J’ai une zone qui est un peu isolée dans l’espace de la boutique. Dans un coin je stocke mes matières premières et dans l’autre il y a la paillasse où je fabrique tout ce que je peux fabriquer dans ces conditions là. Et tout ce qui nécessite de la chauffe, notamment les baumes, je le fais dans un autre laboratoire, que l’on me loue ponctuellement.
La chaîne Arte a fait un documentaire sur les plantes du sud, auquel j’ai participé. Pendant des d’années cela m’a apporté un gros boost de visibilité, et par contrecoup de ventes en ligne.
Vous nous disiez en 2015 qu’une équipe de pharmaciens validait vos produits. Est-ce que c’est toujours le cas ?
Une pharmacienne toxicologue s’occupait effectivement de mes dossiers. En théorie, elle s’en occupe toujours, mais ces dernières années, j’ai plutôt fait des modifications sur certaines formules que créé des nouvelles, je suis donc moins en lien avec cette personne. Le vrai souci dans le métier, c’est de trouver des gens qui soient en mesure d’accompagner les petits créateurs comme moi, qui veulent travailler dans les règles, à l’échelle artisanale et pas industrielle. Il faut donc trouver des équipes ou des personnes qui soient prêtes à le faire dans des budgets qui soient dans nos moyens. Ce n’est pas évident, mais on finit par trouver !
Entre anciens élèves de l’ARH, vous pouvez vous donner des conseils ou des astuces ?
Oui, il y a quelques personnes rencontrées pendant la formation ARH-IFH avec qui j’ai gardé des liens. Il y a Julien Kern, mon principal collègue, qui travaille dans le même coin que moi. Beaucoup de mes plantes viennent de ses cueillettes. On travaille main dans la main, pour les plantes sèches et pour la gemmothérapie, on se voit souvent, on n’est pas associés juridiquement, mais c’est tout comme.
Et après, il y en a d’autres, des personnes qui n’ont pas concrétisé quelque chose dans le domaine des plantes aromatiques. Des amitiés sont nées de la formation ARH-IFH.
Est-ce que votre site internet a pris beaucoup d’importance depuis 2015 ? il était en création à cette époque.
Exactement, en fait, j’avais un site de vitrine que j’étais en train de transformer en site boutique. Je continue de l’alimenter tout le temps, c’est vraiment une part très importante du travail. Après, j’ai beaucoup été boostée parce que la chaîne Arte a fait un documentaire sur les plantes du sud, auquel j’ai participé. Pendant des d’années cela m’a apporté un gros boost de visibilité, et par contrecoup de ventes en ligne. Cela fait maintenant deux ans qu’ils ont arrêté de le diffuser, donc cela c’est un peu calmé. Les gens commandent depuis le début sur mon site en ligne, mais depuis l’inflation, il y a eu un ralentissement. Avant, le site boutique représentait pratiquement la moitié de mon chiffre d’affaires. Aujourd’hui, c’est plutôt un quart. Le reste, c’est la vente en direct. Les gens viennent à la boutique ou me commandent directement en ligne, ou par téléphone. C’est de la récurrence, ou de la recommandation, les gens viennent directement se fournir.
Sur les marchés aussi ?
Je fais 6 ou 7 animations du type « La Fête de la rose » ou « La Fête des plantes » pendant l’année, j’essaye de ne pas en faire trop ! Comme tous mes produits sont conditionnés en verre, c’est assez lourd et un peu pénible à transporter. Je participe au marché de Noël, pendant une journée. Je sors dès que je peux de ma tanière pour aller à leur rencontre des gens, principalement dans les Alpes-Maritimes, évidemment. Je suis présente dans les villages, à Villefranche-sur-Mer bien sûr, à la Villa Ephrussi de Rothschild à Saint-Jean-Cap-Ferrat, régulièrement. Quand il y a des fêtes des plantes ou du printemps à Nice, j’y participe également. Mais dans l’arrière-pays, dans les montagnes, il y a beaucoup de gens que ça intéresse aussi. Notamment au festival du Bien-être à Auron : d’année en année, j’y participe et cela me permet de trouver une nouvelle clientèle qui habite sur place ou qui a une résidence secondaire, et de générer de nouveaux contacts. J’ai un stand la plupart du temps, ou bien j’interviens pour faire des conférences.
Vous avez obtenu le label initiative remarquable en 2018.
C’est vrai. J’ai été accompagnée par plusieurs réseaux d’entreprises, notamment un réseau initiatif qui aide à la création d’entreprises, petites ou grandes, et à leur pérennité. Je n’ai jamais abandonné cet accompagnement, car ils sont de très bon conseil. Ce n’est pas parce qu’on est bon en herboristerie, que l’on est un bon chef d’entreprise ! Ce réseau initiatif crée des prix, des concours, des labellisations. Depuis quelques années, il y a une prise de conscience par rapport à tout ce qui relève de la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Ils m’avait repérée car « La Nouvelle Herboristerie » est une entreprise qui est viable, et qui a tous les critères de l’entreprise durable et respectueuse de l’environnement, tant dans les fournitures de plantes, où il n’y a pas de prédation, que pour les contenants, qui sont recyclés. Ils m’ont encouragée à monter un dossier pour postuler à cette labellisation. Pour moi dès le départ c’était un peu une évidence de travailler en bio, en verre, en recyclable, ça me paraissait tellement normal ! Mais en fait beaucoup d’entreprises ne le font pas, notamment en herboristerie, pour des soucis de rentabilité, et beaucoup travaillent de manière un peu industrielle et veulent maximiser les marges. Si on respecte tous ces critères liés à la RSE, évidemment on perd de la marge, moi j’ai fait le choix le plus difficile de l’ultra qualitatif et cela minimise ma marge : mais c’est durable, et on a une grande satisfaction ! C’est sûr que c’est moins facile, mais on y arrive quand même. Donc j’ai été une des premières dans la région à avoir ce prix, c’était chouette, et ça m’a donné une certaine visibilité. On a envie d’être encouragée quand on est entrepreneur, car on est relativement seul, et avoir des soutiens et de la reconnaissance par rapport aux efforts fournis, aux choix difficiles, c’est très encourageant, c’est très motivant. On réalise que l’on ne fait pas tout ça pour rien. Ce n’est pas un prix doté d’argent, mais il y a un focus, une valorisation de notre activité, et ça a eu un impact sur la notoriété. Parce que dans le domaine des plantes, il y a quand même des gens convaincus, qui boivent des tisanes, qui aiment la santé naturelle, mais il y a aussi des gens qui ont une défiance par rapport au côté charlatan, au côté pas sérieux, il y a ce genre de personnes dans le milieu des plantes ! Tout le monde n’est pas très rigoureux et cela peut desservir, certaines personnes s’improvisent herboristes sans s’être formés ! Ce sont des contre-exemples en fait. Donc le fait d’avoir des labels, c’est hyper important, parce cela crédibilise notre activité.
Quels sont vos produits phares, ceux qui sont le plus demandés ?
Des produits se démarquent, assurément, et ce depuis le début. J’en ai trois, et je suis contente parce que ce sont trois préparations médicinales différentes. Il y a « Mon Zen Express », des gouttes à base de gemmothérapie pour lâcher prise. Qui touche au système nerveux, émotionnel, et bon, en gros tout le monde devrait en prendre, ça irait mieux ! C’est un remède tant pour les enfants que pour les adultes, qui calme et qui permet de lâcher prise, et c’est de loin mon best-seller. La plupart de mes clients ont un flacon chez eux, soit pour une pure ponctuelle, soit pour gérer une situation plus délicate. Ensuite il y a « Ma cure purification », qui est mon drainage de détox sur 10 jours, à base d’eau florale de la région, qui permet de drainer les organes émonctoires, et de faire une cure saisonnière pour nettoyer l’organisme et le dynamiser. Cela évite plein de problèmes, de tomber malade après, les surcharges ponderales, les problèmes digestifs. C’est un peu ce que je donne systématiquement à toute personne qui vient me voir pour un suivi, quel qu’il soit : des douleurs, ou des différents troubles. En général, je propose un nettoyage et après on voit ce qui reste à traiter, ça résout beaucoup de problèmes ! Et le troisième produit qui cartonne vraiment, c’est ma crème de beauté à la rose, un produit cosmétique pour le visage. Comme je le disais, la cosmétique à la base ce n’était pas vraiment mon truc, j’en ai fait parce que les gens me l’ont demandé et qu’ils ont insisté. Et c’est ce qui m’a valu le documentaire d’Arte quand même, « La cosmétique naturelle » ! Moi personnellement je n’y aurais jamais cru, dans la mesure où il y a tellement d’entreprises qui font des cosmétiques, avec des équipes et des moyens incroyables, et beaucoup de petits producteurs s’y sont mis aussi, donc je ne voyais pas trop l’intérêt de proposer moi aussi des soins de beauté ! Mais en fait c’était une bonne idée de franchir le pas car mes produits cosmétiques, parce qu’ils naturels pour de vrai, se distinguaient vraiment. Et le côté thérapeutique et en même temps très professionnel ont joué aussi : c’est une formule non négligeable dans la réussite de mon activité.
Ce n’est pas parce qu’on a mal à la tête qu’il y a un seul remède pour le mal de tête, il y a autant de remèdes qu’il y a de personnes. Il faut trouver la source et cela passe inévitablement par le dialogue.
Vous réservez du temps dans votre boutique pour des consultations ?
Absolument. J’en faisais plus au début de mon activité qui était hébergée à mon domicile, je ne pouvais travailler que sur rendez-vous, pour les consultations ou pour fournir à la clientèle mes produits, mes tisanes, j’avais donc beaucoup de temps de consultation dans la semaine. Ce qui était super, dans la mesure où cela m’a permis de créer des liens de confiance et d’intimité avec les personnes. Elles me racontent un peu leur vie, comment elle se sentent, ça crée vraiment un super lien. Maintenant que j’ai la boutique, je garde toujours des espaces dans mes horaires pour les consultations, mais c’est un peu moins évident, donc j’en fais un peu moins qu’avant : dès que les gens voient de la lumière dans la boutique, ils ont envie de rentrer ! Ils ne comprennent pas que ce soit fermé. Donc je réfléchis à un moyen pour concilier les deux. Mais c’est un pan important de l’activité et c’est aussi ce qui me permet d’être toujours au plus juste des problématiques des gens que j’attire. Quand on prend vraiment le temps, une heure pour se rencontrer et échanger, (je fais du sur-mesure dans ces moments-là), cela permet d’être au coeur de mon métier, c’est vraiment la formulation personnalisée qui me plaît et qui me permet d’avoir des liens durables avec la personne. Et c’est un point fort de la phytothérapie parce que la phytothérapie permet de personnaliser. Ce n’est pas parce qu’on a mal à la tête qu’il y a un seul remède pour le mal de tête, il y a autant de remèdes qu’il y a de personnes. Il faut trouver la source et cela passe inévitablement par le dialogue. On va comprendre d’où ça vient et pouvoir trouver la bonne préparation qui répondra aux besoins. Les gens sont ravis quand je leur propose des solutions naturelles avec des effets secondaires positifs, c’est très sympa. Je ne fonctionne vraiment pas comme une commerçante, en fait !
Êtes-vous présente sur les réseaux sociaux ?
J’essaye de publier plusieurs fois par semaine, sur Instagram et sur Facebook, parce que c’est vraiment important. Il y a un suivi, une proximité. Cela permet de se rappeler au souvenir des personnes. Rappeler, par exemple, que c’est bien de faire telle ou telle cure à ce moment. Que tel produit est disponible, que tel événement se passe, cela permet de garder du lien. J’ai aussi une newsletter que j’envoie en début de mois. J’y annonce les cures du moment, je fais un focus sur certains produits, je mets les replays des émissions radio ou les évènements auxquels je participe…
Certaines personnes ne comprennent pas pourquoi, dans certaines herboristeries, qui ne sont en fait que des revendeurs de produits de laboratoire, ils peuvent trouver des produits beaucoup moins chers que dans ma boutique ! C’est difficile, il faut expliquer, inlassablement.
Est-ce qu’il y a un sujet que l’on n’aurait pas abordé et qui vous tient à cœur ?
Oui, tout à fait, j’aimerais ajouter que l’on fait un métier difficile, et je crois que le grand public ne le sait pas vraiment. C’est avant tout un métier où on a une immense satisfaction à la fin de la journée. Moi je le ressens comme ça, je me dis que c’est génial, que j’adore mon métier, et en plus j’ai réussi à rester légère dans la mesure où je n’ai pas voulu avoir trop de crédits sur la tête. Donc je dors plutôt bien la nuit grâce à cela ! Voir que les gens vont mieux est vraiment très satisfaisant, et ceci, tout en étant favorable à la nature, et en plus en ayant un impact qui ne soit pas négatif ! J’ai des valeurs assez fortes, et me dire que j’arrive à les respecter tout en dégagant un revenu, c’est une très très grande satisfaction.
Mais d’un autre côté, c’est fatigant ! Premièrement, en tant que chef d’entreprise, et ça c’est valable pour toutes les activités, on ne peut jamais être absent, on ne peut jamais se laisser aller ! Si je suis dans une période où je suis très créative et qu’il serait bien ne pas travailler pendant quelques semaines pour me consacrer à la recherche de nouvelles formules, à des projets en gestation, c’est compliqué parce que si je ne travaille pas, personne ne va le faire à ma place.
Deuxièmement, on travaille avec du vivant. C’est-à-dire que d’une année à l’autre, on peut manquer de récolte pour telle plante, c’est aléatoire et on doit s’adapter. L’année dernière j’ai commencé un peu à m’inquiéter parce que certains distillateurs, certains producteurs partaient à la retraite sans transmettre leur activité. D’autres ici ont même revendu à un industriel de la parfumerie, (Lancôme pour ne pas le nommer), avec comme conséquence une perte sèche pour le milieu des plantes ! J’ai des collègues distillatrices qui n’arrivent plus à vendre assez pour en vivre. La culture et la production de plantes, c’est un sacré investissement et il faut pouvoir le supporter. Moi je travaille main dans la main avec ces gens là, il faut qu’il y ait plein de gens comme moi où bien des plus gros, qui jouent le jeu pour faire vivre ces petites fermes, car elles travaillent super bien. À un moment donné, je me suis demandée si j’allais encore pouvoir me procurer de la matière première vraiment médicinale, vraiment qualitative, car finalement, si les gens n’arrivent plus à en vivre ou s’ils n’ont plus envie de travailler, parce que ça ce sont des métiers où on travaille énormément, comment on va faire ?
Julien Kern me parlait aussi de cela, de la concurrence des plantes qui viennent de l’est, de cette difficulté-là.
Oui, c’est clair. C’est ce que j’explique à ma clientèle depuis le départ, et maintenant c’est à peu près compris et intégré. Je paye 100€ le kilo la plupart de mes plantes sèches, là où je pourrais les avoir chez Cailleau à 10€ ou 15€. Certaines personnes ne comprennent pas pourquoi, dans certaines herboristeries, qui ne sont en fait que des revendeurs de produits de laboratoire, ils peuvent trouver des produits beaucoup moins chers que dans ma boutique ! C’est difficile, il faut expliquer, inlassablement. Depuis l’inflation, même si je touche la classe moyenne, les ventes se tassent. Les gens dépensent moins souvent, ils sont plus frileux et font attention à leurs sous. Ils choisirons plus facilement le truc remboursé par la sécu plutôt que le traitement à base de plantes.
Moi, je n’ai pas été touchée par l’impact du Covid, j’ai toujours travaillé. Mais l’inflation, je l’ai vraiment sentie. Un des bons côtés du déménagement à Villefranche-sur-Mer, au bord de la mer, à côté de la plage, c’est que j’ai toute une clientèle internationale que je ne voyais pas avant. Je touche les Allemands et les Autrichiens grâce au documentaire qui est passé sur Arte. Villefranche-sur-Mer est une ville très touristique qui attire des gens du monde entier. C’est une occasion pour moi de régénérer ma clientèle, et qui plus est, avec des gens qui sont à la fois très ouverts, très sympas et qui ont un pouvoir d’achat supérieur aux Français, et qui se posent moins de questions. Une des pistes d’avenir sera pour moi de diversifier ma clientèle pour l’ouvrir à l’international : ça me correspond bien, car j’ai toujours travaillé à l’international.
Avez-vous vu depuis dix ans une prise de conscience dans la population par rapport au naturel, aux produits naturels, aux produits à base de plantes?
Surtout après le Covid, des gens ont commencé à être plus regardants sur leur santé, leur alimentation. Après, la majorité ira toujours au moins cher et au plus remboursé. Mais il y a tout un tas de personnes dans cette zone intermédiaire qui se posent de plus en plus de questions, et il y a une plus grande ouverture, bien sûr, avec toutes les questions sur l’environnement, le développement durable. De toute façon ceux qui ne changeront pas, ne changeront pas, donc c’est perdu, mais il y a tout un tas de gens qui sont de plus en plus demandeurs, je le sens de la part des américains qui viennent ici. Ils sont tellement habitués aux hormones, aux médicaments à outrance, aux industries type Monsanto, qu’il y a une défiance chez eux par rapport à ça. Ils ont un besoin, une envie, une soif de choses naturelles. Si je peux continuer à toucher ces califormiens, ces New Yorkais pour faire de nouvelles ventes, ce serait top, c’est une clientèle que j’ai envie d’entretenir et de développer, parce qu’ils en ont marre manger des cochonneries.
Vous avez parlé d’émissions de radio.
Oui, j’interviens chaque mois sur Radio-Bleu Azur. Je je fais attention à ce que je dis ! C’est quelquefois frustrant, car on ne peut pas parler librement des plantes en France, et je m’autocensure par rapport à ce que je dis à la radio : je vais dire des choses à demi-mot, de manière différente que si j’étais en face d’une personne. Si des auditeurs appellent et demandent des conseils, même si je suis compétente pour leur répondre, je ne vais pas le faire car je prendrais un risque à l’antenne, à laisser penser qu’une plante peut soigner ! Avec le temps, je me suis un peu détendue sur cela, mais au début, cela me stressait beaucoup. Mais j’ai toujours cette vigilance, je vais toujours minimiser l’action des plantes, où bien je vais choisir des plantes universelles, le romarin, l’amaryllis… Je ne vais pas aller trop dans les spécifiques ! Parce que quand les gens écoutent la radio, ils m’entendent parler du frêne pour l’arthrose. Tous les gens qui ont de l’arthrose vont se dire « Ah, il faut que je prenne du frêne ! ». Alors que ce n’est pas forcément adapté à tous.
On touche au paradoxe du métier d’herboriste, aux difficultés liés à la législation.
Oui ! C’est ce qui est usant dans ce métier, il y a une forme d’autocensure, tout un tas de contraintes, notamment réglementaires, qui sont hyper pénibles. Je m’astreins à ne travailler qu’avec les 148 plantes libérées, en plus de celles des compléments alimentaires. Quand on travaille avec ces plantes-là, on ne risque rien en fait, à moins de faire un misusage. Mais cette obligation de déclaration, avec les coûts que cela implique, c’est hyper fastidieux, donc il est impossible de le faire toute seule, ce n’est pas un formulaire que l’on remplit, que l’on envoie, et ça y est, c’est fait. Non, on est obligé de payer les gens pour le faire, c’est un vrai frein ! D’ailleurs ça me freine à créer des nouvelles formules, je le dis franchement. La parade que j’ai trouvée, c’est de mettre en test. Au début, j’étais tellement stressée par ça que je faisais toutes mes déclarations avant de vendre un produit. Maintenant, je mets le produit en test, longuement. Quand je vois que tout le monde est vraiment content, qu’il n’y a pas de modification à faire, à ce moment-là, je le déclare. Je procède un peu à l’envers, ce qui est, à mon avis, plus malin mais tout à fait acceptable. Ce qui me permet de modifier le produit s’il le faut, avant de le déclarer.
Il y a toujours cette pression,si j’avais un contrôle dans mon local actuel, l’inspecteur trouverait forcément des choses à redire, dans la mesure ou dans 35 m2, je fais tenir 3 espaces différents.
J’ai simplement mis en place des cloisons, une en partie et une autre qui est suggérée. On pourrait me dire que les gens ne doivent pas être en contact avec les plantes et avec la zone de travail. Il aurait fallu construire une cloison en béton. Mais je n’ai pas envie de le faire, parce que précisément, c’est parce que c’est ouvert que les gens ont confiance : ils me voient faire, et cela participe du soin !
Il y a des moments où il faut un peu lâcher prise et un peu jauger : entre ne pas être trop perfectionniste comme j’ai pu l’être au départ, et être dans les clous un minimum. Et ces contraintes ne sont pas forcément justifiées, en théorie, bien sûr c’est normal de déclarer, de faire les choses correctement, mais dans notre cas cela empêche de correctement travailler.
La concurrence avec d’autres magasins est-elle une réalité ?
Quand des magasins ont été ouverts par des gens pas formés, ou par des pharmaciens, ou par des gens s’improvisant un peu herboristes parce qu’ils ont fait une formation de naturopathe, je me suis dit, « Oh là là, qu’est-ce que ça va donner ? » Parce qu’évidemment ils revendent des produits de laboratoire, et les marges ne sont pas les mêmes, quand moi je m’oblige à faire quelque chose de super qualitatif… Mais je me suis rendue compte que l’on n’attirait pas les mêmes personnes, pas la même clientèle. Il y a certains de mes clients qui sont allés voir comment ça se passait ailleurs et qui ont pu être « sous le charme » parce que c’était moins cher. Mais la qualité en plantes, ça se paie ! et ils reviennent presque contrits en disant « Sophie on t’a fait une infidélité ! » C’est finalement assez mignon ! Mais en fait la personne qui vend ces produits ne sait pas de quoi elle parle, ce n’est pas elle qui a créé les produits ! Finalement les gens qui ne sont pas très regardants vont y trouver leur compte, mais ceux qui s’intéressent vraiment à leur santé ou qui ont envie de quelque chose de qualitatif, vont revenir vers moi, donc cela répond à tous les besoins.
Êtes-vous contactée par des personnes voulant se reconvertir, ou qui désireraient des conseils ?
Il y a beaucoup de gens qui m’appellent pour avoir des informations sur le métier, qui hésitent à se reconvertir, où qui sont déjà dans un processus de reconversion, et je dois dire que souvent ils ont une idée complètement fantasmée du métier. Les plantes, c’est un domaine qui a un côté un peu magique, donc beaucoup de clients s’imaginent que c’est mignon ce que je fais, mais il faut être un warrior, pour faire ça !
Quand je sens que ces personnes ne sont pas solides, je leur annonce la couleur tout de suite. « Vous lancer dans ce nouveau métier, cela signifie que pendant des années, au mieux vous allez vous payer au smic. Donc, soit vous avez un mari riche, ou une femme riche ! il faut savoir dans quoi on s’engage, c’est un métier, plutôt du 6 jours sur 7 que autre chose ». Et encore moi, c’était 7 sur 7 les premières années. Donc, il faut être conscient que ces métiers sont difficiles, ils demandent une vraie passion, un engagement, et parfois, cela relève du sacerdoce. J’ai moi-même eu des phases de découragement, comme tous mes collègues, non pas que je n’avais pas de bons résultats, mais le quotidien peut devenir fatigant.
Pour l’instant heureusement je m’éclate trop dans ce que je fais, dans le conseil, j’adore ça et j’ai encore l’impression d’apprendre tellement de choses que je suis loin d’être lasse, c’est vraiment un domaine incroyablement riche, et les gens sont intéressants, la nature est incroyable, mais je sais qu’à terme, je m’orienterai bien plus vers la transmission. Je fais d’ailleurs déjà des conférences, parce que c’est ma manière aussi de transmettre, avec la radio. En consultation, je transmets beaucoup aussi : j’explique beaucoup aux gens parce que j’ai envie de les responsabiliser, de les autonomiser. Je suis assez prolixe sur le sujet, j’adore en parler ! Mais oui, je vais aller vers la transmission, parce que cela peut nous user à force, d’être dans le « faire », dans la logistique, c’est indéniable, il y a une grosse partie de logistique dans ce métier ! et une grosse partie de ménage aussi ! Tout cela, on ne l’imagine pas forcément quand on débute, mais beaucoup de temps est consacré à compter les cartons, à compter les plantes, à compter les litres, et ce sont des choses du quotidien de l’herboriste qu’il faut prendre en considération.
Chaque chose en son temps ! Je sais que c’est en chemin, mais que le jour où je serai prête, je basculerai, et le mieux que je pourrai, je transmettrai.
Merci beaucoup Sophie.
Le label « Initiative Remarquable » est décerné par Initiative France aux entreprises innovantes et responsables accompagnées par son réseau.
Ce label récompense les entreprises pour leur impact positif dans les domaines social, environnemental et économique. Pour l’obtenir, une entreprise doit démontrer une démarche innovante, un engagement sociétal et une viabilité économique solide.
Les entreprises labellisées bénéficient d’une meilleure visibilité, d’une reconnaissance accrue et d’un soutien supplémentaire pour leur développement.
La Nouvelle Herboristerie a 10 ans ! dans l’émission « Les Experts »
France Bleu Azur :
Interview de Sophie Chatelier en podcast dans l’émission « Une semaine chez vous »
France Bleu Azur :