Retour sur le parcours de Sophie, que nous avions interviewée en 2015, et qui était alors installée à Nice. Aujourd’hui sa nouvelle boutique de Villefranche-sur-Mer lui permet de mieux exposer ses produits et d’accueillir une clientèle internationale. Sophie souligne l’importance de la personnalisation dans son approche, adaptant ses conseils et ses préparations aux besoins spécifiques de chaque client, et évoque sans langue de bois la charge de travail importante et les contraintes réglementaires lourdes liées au métier d’herboriste.

En 2015, vous aviez créé la « La Nouvelle Herboristerie », et vous étiez installée à Nice. Près de 10 ans après, comment se passe votre activité ?
Ça se passe bien ! Entre temps, juste avant le Covid, j’ai déménagé à Villefranche-sur-Mer, dans un souci d’être plus en phase avec mon activité, Nice étant une ville extrêmement agitée et bruyante. Il s’est révélé que dans la pratique de mon activité, beaucoup de personnes viennent pour des traumas, des problèmes psycho-émotionnels, il y a donc un grand besoin de calme. Donc mon idée était que les personnes que j’accueille, ainsi que moi-même, nous retrouvions dans un environnement plus favorable et plus propice à la détente.
Il y a eu une conséquence heureuse à ce déménagement : les personnes habitant à l’est du département des Alpes-Maritimes, donc Monaco et au-delà, viennent plus facilement. Beaucoup de gens dans la région hésitent à faire le déplacement jusque Nice, qui est une trop grosse ville. Villefranche-sur-Mer est vraiment un mignon petit village comparé à Nice, où les gens aiment passer la journée, la demi-journée.
Le local est-il plus grand, des aménagements ont-ils été faits par rapport à l’ancienne boutique ?
Au début de mon activité, j’ai exercé chez moi et j’avais dédié une partie de l’appartement à l’activité : j’avais clairement besoin de plus d’espace, d’expansion ! J’ai fini par trouver un local en dehors de mon lieu de vie quand je suis arrivé à Villefranche-sur-Mer mais qui n’était pas si grand. Ici les loyers sont très chers, il y a peu de locaux, j’ai donc commencé avec ce petit local, mais qui ne m’a pas empêché de bien travailler. Et depuis un an et demi, j’ai un nouveau local plus spacieux. On n’a jamais assez de place quand on est herboriste, on a beaucoup de choses à stocker, mais j’ai plus de place et surtout ce local est une vraie boutique : il y a une vitrine qui me permet de réellement montrer et exposer mes produits, les gammes que j’ai mises au point. C’est beaucoup plus valorisant, et je me suis aperçue que certains clients qui me suivaient depuis dix ans ont découvert certains produits qui n’étaient pas assez visibles auparavant. Aujourd’hui je travaille dans un environnement qui me ressemble, qui est à l’image de ce que j’ai créé, c’est un écrin beaucoup plus favorable pour mes produits.
Et votre boutique, « La Nouvelle Herboristerie » est face à la mer !
C’est la cerise sur le gâteau ! Comme quoi, il faut toujours demander plus fort à l’univers ! Je dis toujours aux gens, « J’ai la plus belle salle d’attente du monde ! » : si je termine une consultation, ils attendent quelques minutes devant la porte, et peuvent contempler les éléments, cette mer, ce bleu… cela leur permet de poser leur stress, c’est assez magique. Ça participe du soin.
Au niveau de votre gamme de produits, par rapport à 2015, est-ce qu’elle s’est étoffée, est-ce qu’il y a de nouveaux produits ?
Oui, ça s’est un peu étoffé, mais il faut savoir que dès le début de mon activité, j’ai choisi de créer une gamme très vaste parce que je voulais me rapprocher du « sur-mesure ». Pour chaque problématique, je voulais avoir à disposition plusieurs solutions « standardisée ». Je suis à l’écoute de ma clientèle, qui est plutôt fidèle. Il faut savoir, et je l’avais déjà évoqué en 2015, que c’est compliqué de déclarer un produit, car c’est très coûteux, fastidieux, c’est beaucoup d’énergie : on réfléchit à deux fois avant de lancer une nouvelle formule ! Entre temps, j’ai eu la visite de la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) … Sur le moment, cela m’a totalement découragée, mais finalement, après avoir subi cela, je me suis détendue, je peux continuer tranquillement !
J’ai été boostée par la chaîne TV Arte qui a fait un documentaire sur les plantes du sud, auquel j’ai participé.
Vous nous disiez en 2015 qu’une équipe de pharmaciens validait vos produits. Est-ce que c’est toujours le cas ?
Une pharmacienne toxicologue s’occupait effectivement de mes dossiers. Le vrai souci dans le métier, c’est de trouver des gens qui soient en mesure d’accompagner les petits créateurs comme moi, qui veulent travailler dans les règles, à l’échelle artisanale et pas industrielle. Il faut donc trouver des équipes ou des personnes qui soient prêtes à le faire dans des budgets qui soient dans nos moyens.
Entre anciens élèves de l’ARH, vous pouvez vous donner des conseils ou des astuces ?
Oui, il y a quelques personnes rencontrées pendant la formation ARH-IFH avec qui j’ai gardé des liens. Il y a Julien Kern, mon principal collègue, qui travaille dans le même coin que moi. Beaucoup de mes plantes viennent de ses cueillettes. On travaille main dans la main, pour les plantes sèches et pour la gemmothérapie.
Et après, il y en a d’autres, des personnes qui n’ont pas concrétisé quelque chose dans le domaine des plantes aromatiques. Des amitiés sont nées de la formation ARH-IFH.
Est-ce que votre site internet a pris beaucoup d’importance depuis 2015 ? il était en création à cette époque.
Exactement, en fait, j’avais un site de vitrine que j’étais en train de transformer en site boutique. Je continue de l’alimenter tout le temps, c’est vraiment une part importante du travail. J’ai été boostée par la chaîne TV Arte qui a fait un documentaire sur les plantes du sud, auquel j’ai participé. Les gens commandent depuis le début sur mon site en ligne, mais depuis l’inflation, il y a eu un ralentissement. Avant, le site boutique représentait pratiquement la moitié de mon chiffre d’affaires. Aujourd’hui, c’est plutôt un quart. Le reste, c’est la vente en direct. Les gens viennent à la boutique ou me commandent directement en ligne, ou par téléphone.

Sur les marchés aussi ?
Je fais 6 ou 7 animations du type « La Fête de la rose » ou « La Fête des plantes » pendant l’année, j’essaye de ne pas en faire trop ! Je participe à un marché de Noël local, pendant une journée. Je sors dès que je peux de ma tanière pour aller à leur rencontre des gens, principalement dans les Alpes-Maritimes, évidemment. J’ai un stand la plupart du temps, ou bien j’interviens pour faire des conférences.
Vous avez obtenu le label initiative remarquable en 2018.
C’est vrai. J’ai été accompagnée par plusieurs réseaux d’entreprises, notamment le réseau Initiative qui aide à la création d’entreprises. Je n’ai jamais abandonné cet accompagnement, car ils sont de très bon conseil. Ce n’est pas parce qu’on est bon en herboristerie, que l’on est un bon chef d’entreprise ! Depuis quelques années, il y a une prise de conscience par rapport à tout ce qui relève de la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Ils m’ont encouragée à monter un dossier pour postuler à cette labellisation. Pour moi dès le départ c’était un peu une évidence de travailler en bio, en verre, en recyclable, ça me paraissait tellement normal ! Mais en fait beaucoup d’entreprises ne le font pas, notamment en herboristerie, pour des soucis de rentabilité, et beaucoup travaillent de manière un peu industrielle et veulent maximiser les marges. Si on respecte tous ces critères liés à la RSE, évidemment on perd de la marge, mais c’est durable, et on a une grande satisfaction ! C’est sûr que c’est moins facile, mais on y arrive quand même.
On a envie d’être encouragée quand on est entrepreneur, car on est relativement seul, et avoir des soutiens et de la reconnaissance par rapport aux efforts fournis, aux choix difficiles, c’est très encourageant. On réalise que l’on ne fait pas tout ça pour rien. Parce que dans le domaine des plantes, il y a quand même des gens convaincus, qui boivent des tisanes, qui aiment la santé naturelle, mais il y a aussi des gens qui ont une grande défiance ! Tous les acteurs ne sont pas formés et rigoureux et cela peut desservir. Donc le fait d’avoir des labels, c’est important, parce cela crédibilise la façon dont on exerce notre activité.
Quels sont vos produits phares, ceux qui sont le plus demandés ?
J’en ai trois, et je suis contente parce que ce sont trois préparations médicinales différentes. Il y a le « Zen Express », des gouttes à base de gemmothérapie pour lâcher prise. C’est un remède tant pour les enfants que pour les adultes, qui calme et qui permet de lâcher prise, et c’est de loin mon best-seller. La plupart de mes clients ont un flacon chez eux, soit pour une pure ponctuelle, soit pour gérer une situation plus délicate. Ensuite il y a la cure « purification », qui est mon drainage de détox sur 10 jours, à base d’hydrolats de la région, qui permet de drainer les organes émonctoires, et de faire une cure saisonnière pour nettoyer l’organisme et le dynamiser.
Et le troisième produit qui cartonne vraiment, c’est ma crème de beauté à la rose, un produit cosmétique pour le visage.
Ce n’est pas parce qu’on a mal à la tête qu’il y a un seul remède pour le mal de tête, il y a autant de remèdes qu’il y a de personnes. Il faut trouver la source et cela passe inévitablement par le dialogue.
Vous réservez du temps dans votre boutique pour des consultations ?
Absolument. J’en faisais plus au début de mon activité qui était hébergée à mon domicile, je ne pouvais travailler que sur rendez-vous, pour les consultations ou pour fournir à la clientèle mes produits, mes tisanes, j’avais donc beaucoup de temps de consultation dans la semaine. Ce qui m’a permis de créer des liens de confiance et d’intimité avec les personnes. Maintenant que j’ai la boutique, je garde toujours des espaces dans mes horaires pour les consultations, mais c’est un peu moins évident, donc j’en fais un peu moins qu’avant. Mais c’est un pan important de l’activité. Quand on prend vraiment le temps, une heure pour se rencontrer et échanger, cela permet d’être au cœur de mon métier. C’est un point fort de la phytothérapie car elle permet d’ajuster au mieux aux de. Ce n’est pas parce qu’on a mal à la tête qu’il y a un seul remède pour le mal de tête, il y a autant de remèdes qu’il y a de personnes. Il faut trouver la source et cela passe inévitablement par le dialogue. On va comprendre d’où ça vient et pouvoir trouver la bonne préparation qui répondra aux besoins. Les gens sont ravis quand je leur propose des solutions naturelles avec des effets secondaires positifs, c’est très sympa.

Êtes-vous présente sur les réseaux sociaux ?
J’essaye de publier plusieurs fois par semaine, sur Instagram et sur Facebook. Rappeler, par exemple, que c’est bien de faire telle ou telle cure à ce moment. Que tel produit est disponible, que tel événement se passe, cela permet de garder du lien.

Certaines personnes ne comprennent pas pourquoi, dans certaines herboristeries, qui ne sont en fait que des revendeurs de produits de laboratoire, ils peuvent trouver des produits beaucoup moins chers ! C’est difficile, il faut expliquer, inlassablement.
Est-ce qu’il y a un sujet que l’on n’aurait pas abordé et qui vous tient à cœur ?
Oui, tout à fait, j’aimerais ajouter que l’on fait un métier difficile, et je crois que le grand public ne le sait pas vraiment. C’est avant tout un métier où on a une immense satisfaction à la fin de la journée. Voir que les gens vont mieux est vraiment très satisfaisant, et ceci, tout en étant favorable à la nature, et en plus en ayant un impact qui ne soit pas négatif ! J’ai des valeurs assez fortes, et me dire que j’arrive à les respecter tout en dégageant un revenu, c’est une grande satisfaction.
Mais d’un autre côté, c’est fatigant ! Premièrement, en tant que chef d’entreprise, et ça c’est valable pour toutes les activités, on ne peut jamais être absent, on ne peut jamais se laisser aller ! Si je suis dans une période où je suis très créative et qu’il serait bien ne pas travailler pendant quelques semaines pour me consacrer à la recherche de nouvelles formules, à des projets en gestation, c’est compliqué parce que si je ne travaille pas, personne ne va le faire à ma place.
Deuxièmement, on travaille avec du vivant. C’est-à-dire que d’une année à l’autre, on peut manquer de récolte pour telle plante, c’est aléatoire et on doit s’adapter. L’année dernière j’ai commencé un peu à m’inquiéter parce que certains distillateurs, certains producteurs partaient à la retraite sans transmettre leur activité. D’autres ici ont même revendu à un industriel de la parfumerie avec comme conséquence une perte sèche pour le milieu des plantes ! J’ai des collègues distillatrices qui n’arrivent plus à vendre assez pour en vivre. La culture et la production de plantes, c’est un sacré investissement et il faut pouvoir le supporter. Moi je travaille main dans la main avec ces gens là, il faut qu’il y ait plein de gens comme moi où bien des plus gros, qui jouent le jeu pour faire vivre ces petites fermes, car elles travaillent super bien.
Julien Kern me parlait aussi de cela, de la concurrence des plantes qui viennent de l’est, de cette difficulté-là.
Oui, c’est clair. C’est ce que j’explique à ma clientèle depuis le départ, et maintenant c’est à peu près compris. Je paye 100€ le kilo la plupart de mes plantes sèches, là où je pourrais les avoir chez Cailleau à 10€ ou 15€. Certaines personnes ne comprennent pas pourquoi, dans certaines herboristeries, qui ne sont en fait que des revendeurs de produits de laboratoire, ils peuvent trouver des produits beaucoup moins chers ! C’est difficile, il faut expliquer, inlassablement. Depuis l’inflation, les ventes se tassent. Les gens dépensent moins souvent, ils sont plus frileux et font attention à leurs sous.

Avez-vous vu depuis dix ans une prise de conscience dans la population par rapport au naturel, aux produits naturels, aux produits à base de plantes?
Surtout après le Covid, des gens ont commencé à être plus regardants sur leur santé, leur alimentation. Après, la majorité ira toujours au moins cher et au plus remboursé. Mais il y a tout un tas de personnes dans cette zone intermédiaire qui se posent de plus en plus de questions, et il y a une plus grande ouverture, bien sûr, avec toutes les questions sur l’environnement, le développement durable. De toute façon ceux qui ne changeront pas, ne changeront pas, donc c’est perdu, mais il y a tout un tas de gens qui sont de plus en plus demandeurs.
Vous avez parlé d’émissions de radio.
Oui, j’interviens régulièrement sur Radio France-Bleu Azur. C’est quelquefois frustrant, car on ne peut pas parler librement des plantes en France, et je m’autocensure par rapport à ce que je dis à la radio. Parce que quand les gens écoutent la radio, ils m’entendent parler du frêne pour l’arthrose. Tous les gens qui ont de l’arthrose vont se dire « Ah, il faut que je prenne du frêne ! ». Alors que ce n’est pas forcément adapté à tous.

On touche au paradoxe du métier d’herboriste, aux difficultés liés à la législation.
Oui ! C’est ce qui est usant dans ce métier, il y a des grandes contraintes, notamment réglementaires. Je m’astreins à ne travailler qu’avec les 148 plantes libérées, en plus de celles des compléments alimentaires. Mais cette obligation de déclaration, avec les coûts que cela implique est un vrai frein ! D’ailleurs ça me freine à créer des nouvelles formules.
La concurrence avec d’autres magasins est-elle une réalité ?
Je me suis rendue compte que l’on n’attirait pas les mêmes personnes, pas la même clientèle. Il y a certains de mes clients qui sont allés voir comment ça se passait ailleurs et qui ont pu être « sous le charme » parce que c’était parfois moins cher. Mais la qualité des plantes, et leur connaissance ça se paie….et ils reviennent !

Êtes-vous contactée par des personnes voulant se reconvertir, ou qui désireraient des conseils ?
Il y a beaucoup de gens qui m’appellent pour avoir des informations sur le métier, qui hésitent à se reconvertir, où qui sont déjà dans un processus de reconversion, et je dois dire que souvent ils ont une idée complètement fantasmée du métier. Les plantes, c’est un domaine qui a un côté un peu romantique, donc beaucoup de clients s’imaginent que c’est « mignon », mais il faut plutôt être un warrior !
Donc, il faut être conscient que ces métiers sont difficiles, ils demandent une vraie passion, un engagement, et parfois, cela relève du sacerdoce. J’ai moi-même eu des phases de découragement, comme tous mes collègues, non pas que je n’avais pas de bons résultats, mais le quotidien peut devenir fatigant.
Pour l’instant je suis loin d’être lasse, c’est vraiment un domaine incroyablement riche, les gens sont intéressants, la nature est incroyable, mais je sais qu’à terme, je m’orienterai bien plus vers la transmission. Je fais d’ailleurs déjà des conférences, parce que c’est ma manière aussi de transmettre, avec la radio. En consultation, je transmets beaucoup aussi : j’explique beaucoup aux gens parce que j’ai envie de les responsabiliser, de les autonomiser. Je suis assez prolixe sur le sujet, j’adore en parler ! Mais oui, je vais aller vers la transmission, parce que cela peut nous user à force, d’être dans le « faire », dans la logistique, c’est indéniable, il y a une grosse partie de logistique dans ce métier ! et une grosse partie de ménage aussi ! Tout cela, on ne l’imagine pas forcément quand on débute, mais beaucoup de temps est consacré à compter les cartons, à compter les plantes, à compter les litres, et ce sont des choses du quotidien de l’herboriste qu’il faut prendre en considération.
Chaque chose en son temps ! Je sais que c’est en chemin, mais que le jour où je serai prête, je basculerai, et le mieux que je pourrai, je transmettrai.
Merci beaucoup Sophie.

Le label « Initiative Remarquable » est décerné par Initiative France aux entreprises innovantes et responsables accompagnées par son réseau.
Ce label récompense les entreprises pour leur impact positif dans les domaines social, environnemental et économique. Pour l’obtenir, une entreprise doit démontrer une démarche innovante, un engagement sociétal et une viabilité économique solide.
Les entreprises labellisées bénéficient d’une meilleure visibilité, d’une reconnaissance accrue et d’un soutien supplémentaire pour leur développement.
La Nouvelle Herboristerie a 10 ans ! dans l’émission « Les Experts »
France Bleu Azur :
Interview de Sophie Chatelier en podcast dans l’émission « Une semaine chez vous »
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