Installé depuis 2018 en Aveyron comme producteur et transformateur de plantes aromatiques et médicinales, Julien Kern a eu plusieurs vies. Passé par l’Éducation nationale puis par les pâturages des Alpes suisses comme berger, il s’épanouit aujourd’hui, ayant réussi à créer son activité autour des plantes, grâce à une passion pour le végétal depuis l’enfance, une motivation sans faille et la constitution d’un réseau professionnel solide.
Cueillette de la fleur du bigaradier dans les alpes maritimes, les fleurs seront distillées le jour même ; la cueillette s'effectue tous les jours et la distillation tous les soirs ; c'est une récolte longue et fastidieuse qui s'étend sur une semaine en mai, au fur et à mesure que les boutons floraux commencent à s'ouvrir.

ARH-IFH : Bonjour Julien, aviez-vous une activité professionnelle avant de travailler dans le domaine des plantes ?

Julien Kern : Oui, tout à fait. J’ai d’abord travaillé dans l’éducation nationale, comme assistant d’éducation, professeur d’espagnol, ou animateur périscolaire. J’ai enseigné à des enfants analphabètes et à des primo-arrivants, en français langue seconde donc.

Comment vous êtes-vous intéressé au plantes, est-ce que c’est quelque chose qui venait de l’enfance ou bien cela s’est révélé plus tard ? 

C’est un peu tout ça en fait, j’était entouré par les plantes dans mon enfance, grâce à mes grands-parents agriculteurs, qui nous soignaient avec des tisanes. Ils étaient  paysans, travaillaient tout à la main dans la campagne des Alpes maritimes, c’était des endroits un peu compliqués ! Et puis, j’ai toujours fait ma cueillette de thym, mes petits vins aux plantes pour les apéros, mes petites tisanes, avec quatre ou cinq plantes.

En autodidacte, donc ?

Oui, tout à fait, dans un premier temps. À l’époque, ce sont des informations que je recevais donc de mes grands-parents, mais aussi de ma tante ou de mes amis, et évidemment les livres ont joué un rôle aussi. Ensuite seulement est venue la formation ARH-IFH.

Lavande fine sauvage, Lozère 1100m alt.

Quel est le déclic qui vous a donné envie de faire une formation dans ce domaine?

Je voyais que j’arrivais à me soigner avec les plantes, et que c’était efficace ! Donc j’ai voulu approfondir, et puis je me rappelais qu’on nous avait soigné quand nous étions enfants de cette façon, pour des petits bobos. J’ai beaucoup voyagé aussi, j’ai étudié les civilisations d’Amérique latine, j’ai vu l’usage des plantes dans d’autres pays. Notre relation à l’extérieur, à la nature, la place dans laquelle nous sommes par rapport à notre environnement, tout cela me séduisait.

Est-ce que la formation ARH-IFH a été choisie dans l’idée de s’orienter vers une nouvelle profession ?

Oui, j’avais vraiment envie d’en faire mon métier, de travailler à l’extérieur, dans le végétal. J’avais d’abord pensé au maraichage, car c’est ce que faisait mon grand-père. Mais les plantes médicinales m’intéressaient vraiment. Donc l’idée première était d’en faire ma profession.

Pourquoi avoir choisi la formation ARH-IFH plutôt qu’une autre ?

Quand j’ai commencé la formation, ça faisait déjà longtemps, depuis l’âge de 18 ans, que je m’intéressais aux plantes par mes expériences et par mon milieu familial. Je connaissais donc la situation qui était celle des herboristes en France depuis 1941, avec la fin du certificat d’herboriste. J’ai alors cherché les différentes formations, qui proposaient un apprentissage autour des plantes en France. Ou pourquoi pas à l’étranger. Finalement je suis tombé très vite sur les principales écoles, l’école de Lyon, et l’ARH-IFH qui était à cette époque à Mens, dans les Alpes. Les différents DUs et les formations agricoles m’intéressaient aussi. Ce qui a fait la différence pour moi, c’est que le diplôme agricole était vraiment axé sur la production et ça ne m’intéressait pas tellement. Je désirais vraiment approfondir la connaissance des plantes, la chimie, la botanique, avoir une connaissance dure, pas seulement empirique. Structurer la connaissance. Et donc le programme de l’ARH-IFH m’a convenu. La formule par correspondance était parfaitement adaptée pour moi car je travaillais beaucoup à côté, surtout la première année. Et une formation bouclée en deux ans, c’était plutôt motivant. Mais après avoir terminé la formation, j’ai quand même regretté qu’il n’y ait pas une année de plus !

Cette formation vous a-t-elle aidé concrètement dans l’élaboration de votre projet professionnel ?

Cette formation et mes savoirs antérieurs m’ont donné des connaissances solides, et j’ai suivi ensuite d’autres petites formations pour approfondir. En fait, la formation ARH-IFH m’a donné un socle de connaissances de base, une connaissance des 148 plantes mais pas uniquement : la pharmacognosie a été une discipline très importante pour moi, qui m’a ouvert des portes, me donnant des connaissances botaniques qui m’ont permis dans mes balades de pouvoir identifier les plantes autour de moi. Ça m’a vraiment aidé à poser un socle avant de m’installer. Et quand j’ai terminé ma formation à l’ARH-IFH en 2013, j’ai repris un peu mon activité dans l’éducation nationale. J’ai arrêté assez rapidement parce que le rythme et les horaires ne me permettaient pas de développer mes connaissances, et de lancer mon activité autour des plantes. J’ai donc cherché un autre travail, qui soit plus compatible et finalement je me suis formé comme berger, et j’ai travaillé comme berger dans les Alpes Suisses pendant quatre saisons. Je montais en estive l’été, ce qui me permettait de bien gagner ma vie l’été, parce que je ne dépensais rien. Le reste de l’année, j’ai pu ainsi commencer à développer mon activité : créer mon réseau de contacts, créer des recettes, donner des préparations à des gens pour les tester. J’ai continué à étudier par moi-même et toutes les connaissances acquises avec la formation ont pu être approfondies, travaillées. En fait, cela m’a permis de faire ce travail important de préparation à l’installation et aussi de me donner le temps de rechercher un endroit où m’installer. Ces années post-formation m’ont permis de faire des cueillettes, des mélanges, des tisanes, d’élaborer des recettes, de connaître des gens dans le milieu aussi, des labos… J’allais à des conférences sur le thème des plantes.

Je fais une grosse quantité de lavande fine, 200 kg de ventes par an, 80 kg d’achillée millefeuille, et pour la violette odorante, un litre d’alcoolature tous les deux ans, c’est le maximum.

J’ai aussi pu suivre plusieurs formations : une formation consacrée au plantes bioindicatrices avec Gérard Ducerf. Quelques formations également proposées par le Syndicat SIMPLES au niveau de la distillation, notamment. J’ai suivi un distillateur à Grasse pendant quelques années, j’emmenais des plantes à distiller et j’apprenais en même temps. J’ai également suivi un phytothérapeute qui travaillait avec Jean-François Astier, et j’ai suivi quelques autres cours, dont une formation spécifiquement sur le conseil.

Pouvez-vous nous présenter « Les Plantes Compagnes » ?

Mon activité avec « Les Plantes Compagnes » a d’abord commencé en 2018 dans une coopérative d’activités, et j’ai très vite arrêté ce mode de fonctionnement pour m’installer comme agriculteur indépendant en 2019. Donc au début, mon activité était basée principalement sur la cueillette et le séchage. Je faisais quelques macerats huileux, quelques alcoolatures, mais pas beaucoup, et plus pour mon entourage que pour la vente à proprement parler. En 2018 mes premières ventes ont été des tisanes, et puis après j’ai vendu de la plante sèche à mon réseau qui grossissait peu à peu. J’ai commencé à me diversifier, j’ai acheté un petit alambic de 50 litres, pour distiller, faire des expériences, et proposer des hydrolats à la vente en 2019. Ensuite est venus la gemmothérapie : j’ai rencontré Stéphane Boistard qui m’a formé, puis Philippe Andrianne, et j’ai lu pas mal de livres sur le sujet. Vers 2019-2020 j’ai commencé la gemmothérapie. On me demandait aussi des alcoolatures, j’ai donc agrandi ma gamme alcoolatures. Ma spécificité, c’est d’avoir beaucoup de plantes. Si je compte tous les arbres, les plantes, et les 148 plantes sèches, plus les alcoolatures, en ajoutant les compléments alimentaires, et maintenant les macérats huileux, j’en suis à presque 200 plantes. Ça ne signifie pas que je cueille 200 plantes différentes par an. Pour les alcoolatures les plantes sont en petite quantité, mais certaines plantes sont en beaucoup plus grande quantité. Je fais une grosse quantité de lavande fine, 200 kg de ventes par an, 80 kg d’achillée millefeuille, et pour la violette odorante, un litre d’alcoolature tous les deux ans, c’est le maximum.

Où se passent les cultures ?

L’activité est basée sur un terrain situé à Prévinquières, près de Séverac d’Aveyron dans le centre-est de l’Aveyron, à la frontière avec la Lozère, à 850 mètres d’altitude, tout en pente. J’ai un grand jardin où je mélange la culture potagère pour notre propre consommation personnelle, et les cultures de plantes médicinales : des calendulas, de la menthe, des mauves, du pavot de californie… quelques cultures annuelles. Quelques cultures permanentes aussi comme la camomille romaine qui sert à faire des petites quantités d’hydrolats, des plantes sèches ou des alcoolatures. Ensuite sur ce terrain qui fait 2 hectares à peu près, il y a beaucoup de plantes sauvages, beaucoup d’arbres. J’y cueille beaucoup de bourgeons, ce qui me donne un grand choix pour la gemmothérapie. Je me déplace dans l’Hérault pour le figuier et l’amandier, des plantes plus à l’aise dans le sud ou dans le sud Aveyron, éventuellement. Mais sinon, à part trois ou quatre bourgeons, je reste beaucoup ici, parce qu’on est entourés de bois et de prairies de fauche ou de prairies naturelles. On est vraiment aidés par notre milieu. Je distille aussi sur ce site grâce à un petit ruisseau qui alimente le jardin, ce qui me permet de refroidir l’alambic avec son eau et j’ai aussi la chance d’avoir une source, donc je peux distiller avec l’eau de cette source, et ça, c’est intéressant aussi. Cueillette et distillation sur ce terrain donc.

Fin de journée très chaude après une longue cueillette de ciste ladanifère dans une forêt domaniale du maquis varois ; cette récolte sera destinée à la distillation, la confection de macérats huileux et des essais pour fabriquer de l'absolue de labdanum.

Ensuite j’ai un séchoir au village, dans la maison de ma belle famille. J’utilise un grand grenier de 80m2 d’espace de séchage qui est très sain, bien isolé avec de bonnes aérations et des grilles adaptées afin d’éviter les intrusions d’insectes. Cet espace est vraiment un gros avantage pour mon activité : il y a des étagères de séchage et je peux étaler des cueillettes en  attente de distillation sur de grands draps sur le sol. Ensuite, je dispose d’un grand atelier, à 2 km de mon séchoir, toujours sur la commune, c’est là où je stocke mes plantes sèches, mes alcoolatures et mes macérats. C’est aussi le lieu de transformation des cosmétiques. On me prête une parcelle à 4 km de chez moi ou je cultive essentiellement la camomille matricaire et le calendula. J’ai un pôle aussi dans les Alpes-Maritimes. Il y a certaines plantes là-bas, qui donnent à ma gamme de plantes une grande diversité, parce que je peux ajouter à mes plantes de l’Aveyron, des plantes que l’on ne trouve que dans les Alpes-Maritimes : le Pistachier lentisque, le myrte commun, le Ciste ladanifer, la fleur d’Oranger sur des terrains sur lesquels j’entretiens les arbres, avec une collègue qui est basée là-bas, qui reste sur place pour travailler quand je n’y suis pas. 3-4 fois par an, on entretient les arbres, on les taille au besoin. Récemment sur certains arbres, on avait beaucoup de cochenilles, on a dû traiter en bio. Ensuite viennent les cueillettes comme parfois de la Marjolaine à coquille. Là-bas je travaille également avec une association qui s’appelle Terra Segurana, où je distille quelques plantes, je partage le résultat de la distillation avec eux. On avait fait de verveine odorante, de la citronnelle, que l’on a arrêtée. Ce sont des plantes que je me plais à faire dans le sud, parce que elles sont beaucoup plus puissantes que si je les cultivais ici. Un autre lieu très important dans mon activité, c’est Oléatherm, une ferme dans le sud du Larzac, à une heure de chez moi, qui est couplée à un centre de soins, et où il y a une grande biodiversité, j’y ai l’autorisation de cueillir. J’y trouve la Rose de Damas là-bas chaque année, et beaucoup de plantes que j’utilise en gemmothérapie. Sur la Rose de Damas on travaille en partenariat, je fais des boutures, que je leur amène, ils les entretiennent, puis on fait les récoltes ensemble, je distille là-bas sur place, et enfin on se partage le fruit du travail.

Distillation de la Rose de Damas fraîchement cueillie, en partenariat avec le domaine d'Oleatherm dans l'Hérault.

Chaque fois ce sont des pôles, c’est-à-dire que je ne fais pas 100 km dans la journée : j’y vais, je reste, et je reviens, et avec à chaque fois une possibilité de distiller sur place ou de stocker sur place, mais c’est vrai que pour la plante sèche je travaille plutôt près de chez moi, c’est pour la distillation que je vais plus loin. Pour avoir le produit vraiment transformé, ma philosophie c’est d’être au plus près de la plante, de transformer le produit le plus vite possible, dans les règles de l’art. Ne pas le trimballer pendant 20 ans, pour le distiller à moitié noirci, ou dans des big bags, comme certains le font, mais au contraire le cueillir, le distiller directement. On peut le stocker le temps d’un pré-séchage, et ensuite le distiller, ou alors on cueille, on met directement en macération, si c’est pour de l’alcoolature, de la gemmothérapie.

Beaucoup de partenariats, de mutualisation des tâches avec d’autres professionnels ?

Exactement, je travaille avec d’autres cueilleurs qui sont dans mon secteur. En Aveyron, avec 4 autres personnes, dont Élodie Juillet, une distillatrice qui a des grands alambics, essentiels pour mes grosses récoltes, et on utilise le mien pour des petites récoltes. On partage des lieux de cueillette, on distille ensemble. La grande nouveauté de cette année, c’est que je commence à travailler sur demande pour des parfumeurs. On en est au stade des essais.

Vers 2017, Sophie Chatelier m’a contacté et on s’est revus, je l’ai donc fournie en plantes sèches, puis en beaucoup de préparations différentes. Elle m’achète en semi-gros, pour qu’elle-même puisse faire ses préparations. C’est un partenariat depuis le tout début.

Vous travaillez également avec Sophie Chatelier, qui est une ancienne élève de l’ARH-IFH, vous étiez dans la même promotion.

On se connait depuis la formation. Vers 2017, elle m’a contacté et on s’est revus, je l’ai donc fournie en plantes sèches, puis en beaucoup de préparations différentes. Elle m’achète en semi-gros, pour qu’elle-même puisse faire ses préparations. C’est un partenariat depuis le tout début.

Effeuillage de la mélisse cultivée sur notre terrain, l'effeuillage est très long car il ne faut pas toucher le limbe au risque d'avoir une plante sèche qui noircit.
Cueillette de reine des près en aveyron (1000m alt).

Avez-vous eu besoin d’une aide administrative pour votre installation, ou de conseil ici ou là ?

En fait, à travers le syndicat des SIMPLES, à travers les formations que j’avais faites, j’ai pu recueillir pas mal d’informations et ensuite je me suis installé. C’est toujours à travers le syndicat SIMPLES, que j’ai pu persévérer au niveau administratif et réglementaire. Ce n’est pas évident de trouver le temps. Si j’ai un conseil à donner, c’est vraiment de s’intéresser à cette question administrative avant de s’installer. Par exemple, je ne pensais pas forcément au début de mon activité faire de compléments alimentaires : je pensais rester sur les tisanes et les hydrolats. Mais peu à peu, la gemmothérapie est arrivée. Mais à l’inverse, au début, on peut vouloir faire un peu de tout, et puis on se rend compte qu’il y a des normes à respecter, même si on ne fait que des petites quantités, et quand on a de la demande, on se dit qu’il aurait été judicieux de s’occuper de la partie administrative en amont, parce qu’après coup, cela devient très chronophage.

Est-ce qu’il y a eu des choses qui ont été plus difficiles que l’autre, pour le lancement de votre activité ?

Première difficulté : Trouver une terre, deuxième difficulté, trouver des financements. Jusqu’à présent, je n’ ai encore jamais eu d’aides. Depuis cette année, il y a des chances que j’en obtienne par la région Occitanie. Je suis suivi par la chambre d’agriculture. J’ai eu un équivalent de RSA qui m’aidait un petit peu quand même pour les mois creux parce que j’ai mis du temps à commencer et à en tirer un revenu. Ce n’est quand même jamais entièrement gagné.

Cueillette d'aspérule odorante en Aveyron, 1000m alt.

Et à l’inverse, quelles sont les choses qui vous ont aidé ?

Surtout des rencontres. J’étais familier du séminaire d’Ethno-Botanique de Salagon, que j’avais connu grâce à l’ARH. J’y ai fait des bonnes rencontres, puis étant dans le réseau SIMPLES j’ai fait aussi d’autres rencontres. J’ai croisé beaucoup de thérapeutes, de naturopathes, des pharmaciens, des médecins également qui s’intéressent aux plantes. Et des praticiens de médecine chinoise. Cela m’a beaucoup motivé de connaître tous ces gens qui travaillent avec la médecine naturelle. Et puis de connaître d’autres producteurs, d’autres cueilleurs aussi, des distillateurs, ça c’est très enrichissant.

Ma compagne est rentrée dans l’activité cette année. On est deux, donc du coup c’est beaucoup plus facile. Après, on augmente un peu la gamme, donc on doit produire un peu plus. Mais ça facilite beaucoup de choses au niveau du flaconnage, de l’étiquetage, du tri des plantes. Quand on est deux, c’est vraiment royal ! À un moment donné, je pensais complètement arrêter les plantes sèches parce que je n’avais plus trop le temps. J’étais très pris par la distillation et la gemmothérapie au printemps, et la distillation à partir du mois de mai. Ne plus me retrouver seul m’a permis de garder le pôle « plantes sèches » qui génère un petit peu de revenus et de diversifier avec quelques préparations alimentaires culinaires. Par ailleurs je vais préparer une VAE de paysan-herboriste, il faudra faire un dossier, prendre des photos de l’activité, expliquer un petit peu les étapes de la production, comment on travaille. On nous reconnaît avec ce statut de paysan-herboriste comme étant capables d’avoir quelques connaissances sur les plantes qu’on produit : c’est une avancée pour le métier d’herboriste ! Ce statut est pensé aussi pour les gens qui sortent du milieu de la production, des lycées agricoles, et je vois la différence entre les gens formés en herboristerie et ces personnes ayant suivi des formations dans la filière classique agricole. Il ne faut bien sûr pas généraliser, mais dans beaucoup de cas il y a toujours une différence au niveau de l’approfondissement des connaissances, des vertus des plantes, de la chimie des plantes. Quand on sort d’une école d’herboristerie on a un bon socle de base, et quand on sort d’une formation agricole, on va être doué pour cultiver, pour les gestes, pour tout ce qui est technique peut-être, mais on va manquer de connaissances au niveau théorique.

Et cette formation de paysan-herboriste va apporter beaucoup pour les gens qui sortent du milieu agricole et ils pourront mieux valoriser leurs produits en toute sécurité au niveau de la loi, ils ne seront plus sous la menace d’une répression. Et pour les gens comme moi qui ont fait l’école d’herboristerie, c’est aussi l’occasion de faire reconnaître les connaissances que j’ai pu acquérir. Mais ce n’est qu’une petite avancée, un pas de fourmi.

Une distillation de mélisse sur notre terrain, avec notre alambic.

Puis il y a l’engouement du public, bien réel : il y a beaucoup de demandes, il suffit de voir les publicités sur internet… mais cet engouement peut aussi mener à faire des erreurs avec les plantes.

Comment faites-vous la promotion de votre activité, de vos produits, sur les réseaux sociaux ? Par le bouche-à-oreille ?

Pendant 4 ans, je n’ai fait qu’expérimenter, travailler, tisser des liens, j’ai acquis un bon réseau de bouche-à-oreille. J’ai connu beaucoup de différents thérapeutes, je me suis déplacé beaucoup, j’ai promu mon activité, mes produits de cette façon-là. On peut trouver mes produits aujourd’hui dans quatre boutiques locales en Aveyron. La mairie et l’Office du tourisme ont parlé des « Plantes Compagnes » dans leurs publications. Je fais partie de quelques associations de producteurs, ce qui me permet d’être connu sur différents endroits de l’Aveyron, et dans l’Hérault aussi. J’anime également des petites balades botaniques, où je parle d’herboristerie familiale : ça me fait connaître et ça fait connaître aussi mes produits.

Et les marchés ?

Je fais un peu moins de marchés, mais j’en fais encore de temps en temps. J’en fais moins parce que je travaille plus avec des gens qui ont des herboristeries, qui revendent des plantes. Mais j’ai fait récemment la Foire d’Automne à Millau. Je fais quelques salons, quelques foires de producteurs, par exemple à Pézenas où se tenait un salon sur les thérapies non médicamenteuses. C’était très intéressant car organisé par des gens de l’hôpital, par des kinés, par des thérapeutes plus alternatifs. C’était la rencontre entre plusieurs modes de thérapies. Je participais avec mes plantes. Le bouche-à-oreille fonctionne bien, et quelques thérapeutes ou phytothérapeutes envoient des gens me passer commande. Je dois donc faire plus d’envois, plus de préparations pour des commandes.

Est-ce que selon vous il y a un intérêt croissant aujourd’hui pour les activités autour des plantes ?

C’est une question qui englobe beaucoup de points différents. La situation est assez complexe en fait. De mon point de vue en Aveyron il y a une soixantaine de producteurs, c’est plutôt pas mal, mais il y a aussi beaucoup de tout petits producteurs, on pourrait dire des micro-producteurs. Beaucoup de gens commencent, arrêtent et galèrent.

Il y a clairement un engouement à vouloir s’installer, mais il n’y a pas forcément les aides pour le faire. Et il y a surtout une grande difficulté à trouver des petites surfaces, parce qu’ici c’est une région d’élevage, comme c’est le cas dans d’autres régions aussi, donc il y a des fermes à reprendre, mais avec 50 hectares et une laiterie ! Ce n’est pas trop à notre échelle de paysans-herboristes. Souvent les gens n’ont pas les moyens. Il y a une vraie difficulté à trouver un terrain, et ensuite, il y a une vraie difficulté à en vivre. Beaucoup de gens sont intéressés, mais ils ne sont pas forcément formés, en fait. Ils vont pouvoir faire cultiver, appliquer des choses qu’ils ont appris de manière autodidacte, par exemple des techniques spécifiques grâce à des formations agricoles, mais après, pour la commercialisation, pour parler des plantes, ils vont être moins à l’aise et ça va être plus difficile. Il y a aussi la législation un peu compliquée. Tout n’est pas encore au clair entre les pharmaciens et les herboristes. Et je ne critique pas forcément les pharmaciens, qui font aussi du très bon travail au niveau des plantes. Puis il y a l’engouement du public, bien réel : il y a beaucoup de demandes, il suffit de voir les publicités sur internet… mais cet engouement peut aussi mener à faire des erreurs avec les plantes. Donc c’est d’autant plus important que tous les acteurs du métier des plantes soient correctement formés au conseil, y compris les producteurs, d’où la grande importance qu’il y ait des écoles d’herboristerie comme l’ARH-IFH.

Séchoir des plantes compagnes, 3 orties séchant en bouquet et 4 fleurs de bleuet sauvage cueillies le jour même et prêtes à être distillées le soir même.

Un autre point négatif que je trouve à cet engouement des plantes, ce sont les effets de mode, maintenant de très grosses entreprises se mettent à faire des plantes, des boîtes de cosmétiques se mettent à faire du naturel, font venir des plantes de l’étranger, et cela casse le prix de la main-d’œuvre. Cela devient très compliqué pour nous. ll n’y a pas si longtemps, j’ai vu 30 millilitres d’hélichryse à 15 euros, alors qu’au prix du très gros, c’est au moins le triple, quand on sait le travail que représente la fabrication d’huile essentielle d’hélichryse.

C’est une grosse concurrence pour les petits producteurs, effectivement.

Oui, c’est vraiment très dur. Je vois des gens qui cultivent de la lavande qui ont du mal, parce qu’il y a cette lavande de Bulgarie, qui peut être très bonne aussi, je ne remets pas en question la qualité du travail qui peut être fait dans d’autres pays, mais souvent, quand c’est lié à l’exportation, on vend des très grosses quantités, d’énormes quantités : de l’huile essentielle par dizaine de kilos et pour le petit producteur, ce n’est pas toujours facile de s’y retrouver.

Cueillette de thym linalol dans le Sud Aveyron sur le causse (800m alt).

Heureusement le public averti préfère acheter local que d’acheter sur Internet des produits dont on connait moins la traçabilité. Donc oui, il y a un engouement grandissant, mais ça ne va pas sans certains excès d’un côté comme de l’autre. Sans parler de l’excès du charlatanisme aussi autour des plantes. Et c’est pour cela que les pharmaciens ont tout leur rôle, la science aussi a un rôle primordial à jouer, et je rêve d’un monde où les herboristes puissent collaborer en harmonie avec les pharmaciens, les chimistes, les agriculteurs… J’ai d’ailleurs suivi une formation en ethnopharmacologie à Metz cette année et c’était très intéressant cette interaction avec le monde de la pharmacologie et des plantes.

Je pense que c’est l’avenir de voir comme cela.

Merci beaucoup, Julien.

Les Plantes Compagnes
Julien Kern

Cueillette et transformation de plantes aromatiques et médicinales en Aveyron, dans l’Hérault et dans les Alpes-Maritimes.

Tisanes, macérats de bourgeons, hydrolats, huiles essentielles.

Ateliers, stages, formations, et cours, autour des plantes médicinales.